Emile Arthur Gréhan (Avila Gréhan en religion) est né le 9 mai 1869 à Saint-Paul-aux-Bois, dans l’Aisne, et décédé le 2 décembre 1946 à Soissons, à l’âge de 77 ans.
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Il est le fils de Charles, Louis, Moïse GREHAN, maréchal, né le 21 février 1838 à Saint-Paul-aux-Bois, décédé le 25 mars 1914 à l’hospice de Soissons, et de Marie Mélanie Julie dite Julia BLONDEAUX, sans profession, son épouse, née le 25 novembre 1848 à Saint-Paul-aux-Bois, décédée le 23 mars 1911 à Roucy.
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Ordonné prêtre en 1892, l’abbé Gréhan sera curé de Roucy de 1899 jusqu’à sa mort en 1946, et doyen honoraire de Berry-au-Bac
Il a vécu, pendant son ministère à Roucy, dans le presbytère près de l’église.
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A la mort de son mari, sa cousine, Julienne Rebequet Poittevin, est venue vivre auprès de lui. Elle est décédée le 21 mai 1938 à Saint-Paul-aux-Bois.
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Madame Maryse Lemaire, arrière-petite-fille de Julienne, nous a très gentiment communiqué la copie d’échanges épistolaires de l’abbé Grehan avec sa famille.
Nous vous en présentons des extraits qui permettent de découvrir la vie à Roucy, ou en évacuation, pendant les deux guerres. (L’orthographe a été respectée.)
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Pour en faciliter la lecture, l’article a été divisé en 3 parties.
- Première partie de 1914 à 1917
- Deuxième partie de 1918 à 1923
- Troisième partie de 1935 à 1946
Première partie : de 1914 à 1917 :
L’abbé Gréhan à sa cousine Octavie Louise Lemaire Rebequet, dite « Pierrette », à St Paul aux Bois (Aisne) :
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« Roucy le 21 août 1914
Chère Cousine
J’attendais avec impatience ta lettre que ta mère m’avait annoncée. Je la reçois aujourd’hui vendredi après 6 jours ; malgré cela j’ai été heureux de savoir que vous allez bien ; je regrette que tu n’aies pu voir Lucien avant son départ, mais tu as dû être un peu rassurée tout de même sur son compte.
Tu ne me dis pas si tu reçois les journaux que je t’envoie mais tu en as d’autres probablement car on est impatient de savoir les nouvelles de la guerre.
Les blessés continuent d’arriver à Reims et tout le monde est occupé à leur venir en aide. Malheureusement il y a aussi des morts : puissions-nous n’en avoir pas dans notre famille !
Ici les travaux vont leur train ordinaire.
Il y a une cinquantaine d’hommes qui sont partis. Le boulanger vient de rentrer et le boucher est parti dimanche. Nous manquons de viande pour une certaine quantité car on ne tue que des porcs.
J’ai à ravitailler les poules et les lapins ce n’est pas une petite besogne : il y a 19 poules et poulets et une trentaine de lapins. On me donne de l’hospice une brouettée de luzerne tous les 3 jours. Les jardinages sont en bon état : on me fait des confitures à l’hospice et j’y prends le repas de midi tous les jours.
J’ai eu la visite de Mr le Curé de Ventelay qui est toujours à son poste. J’ai vu aussi mes voisins de Maizy et Longueval. Nous avons dans notre canton un prêtre celui de Condé qui a eu un dérangement cérébral à cause des évènements actuels ; on m’a dit qu’on le soignait à Reims.
Madame Soulié va assez bien, elle est plus calme qu’au début.
On dit que le Pape est mort, voilà une nouvelle qui va compliquer encore la situation religieuse.
Je ne demanderais pas mieux d’aller vous voir, mais ce n’est pas facile : il y a des trains qui sont supprimés et on ne sait pas ce qui peut arriver du jour au lendemain : on n’ose pas s’aventurer loin de chez soi (...)»
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L’abbé Gréhan à sa cousine Julienne Rebequet Poittevin qui depuis le début de la guerre a rejoint sa fille à St Paul aux Bois :
« Mercredi 21 Octobre
Chère Cousine
Je t’envoie deux mots pour te dire que je vais bien malgré tous les évènements que nous traversons. J’ai chez moi Mr le Curé Lecompte et les Dames Lefèvre ainsi que deux autres et un Monsieur.
Notre doyen a été frappé par un éclat d’obus et il en est mort, Mr Chambry (l’abbé) a été emmené prisonnier depuis un mois et n’est pas encore revenu. Leopold Merlier est mort subitement il y a près de deux mois, ainsi que Madame Chantraine. Deux obus sont tombés sur notre église et ont défoncé le toit et le plafond au-dessus de l’entrée principale, en face de la maison de Mme Andieux. Il en est tombé plusieurs autres sur le pays.
Pontavert, Berry… sont presque détruits et les habitants ont dû partir. Ici nous sommes encore chez nous.
Je me demande ce que vous devenez par là. Si tu veux ou si tu peux envoyer de tes nouvelles, adresse ta lettre à Mr Choquel, aumônier militaire 1er corps 2e division
Car nous n’avons pas la poste depuis longtemps et nous ne recevons rien, ni lettre ni journal. Les appareils ont été détruits (…) »
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L’abbé Gréhan à Pierre Lucien Lemaire domicilié à St Paul aux Bois. Mobilisé : 1ère section Grand parc d’artillerie Groupe N° 2 Secteur postal 27 :
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« Roucy, le 28 novembre 1914
Cher cousin,
Je n’ai pu répondre plus tôt à votre lettre du 13 octobre pour la raison que nous étions depuis 3 mois privés de tout service postal et que votre lettre n’est arrivée ici que le 26 novembre »
« (…) Que d’évènements depuis que ma cousine est retournée à St Paul ! Je n’ai pas reçu de lettre d’elle à l’exception d’une qui m’a été envoyée le 23 août et qui m’est arrivée avec la vôtre. A cette date, les Allemands n’avaient pas encore envahi nos régions. Ils sont passés ici le 2 septembre et le 4, ils m’ont emmené jusqu’à Ventelay à 3 kilomètres et m’ont laissé ensuite revenir ici.
Le 12, ils battaient en retraite et depuis, ils occupent les hauteurs qui sont en face de Roucy.
Voilà quatre fois qu’ils envoient des obus sur nous.
Il y a huit jours, il y en a une trentaine qui ont causé des dégâts matériels mais n’ont tué personne. Notre église a eu sa toiture défoncée et ma grand porte a reçu un éclat qui l’a percée ; nous sommes toujours dans l‘anxiété ;
Je loge chez moi 5 personnes de Pontavert qui ont dû quitter leur pays, et je vais assez bien, malgré tout.
Ma cousine n’est pas revenue et j’aime mieux la savoir à St Paul »
« (…) Le pays doit être sur la ligne de feu comme ici.
Espérons qu’il n’y a pas de trop grands malheurs à déplorer. Nous prions bien avec nos soldats pour le succès de nos armées, mais c’est bien long d’attendre ainsi des jours et des mois pour être délivrés.
Vous pouvez m’écrire à mon adresse ordinaire, car depuis quelques jours, on a rétabli un service des postes qui fonctionne assez bien (…) »
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L’abbé Gréhan à Pierre Lucien Lemaire :
« Roucy 15 décembre 1914
Cher Cousin
J’ai été très heureux de recevoir de vos nouvelles et de vous savoir bien portant : je souhaite que vous puissiez supporter vaillamment ces terribles épreuves et je demande au bon Dieu de protéger nos chers parents de St Paul qui sont malheureusement sous la domination des Allemands.
Il n’y a pas de changement notable dans notre situation. Voilà 3 jours de suite que nous recevons des obus dans l’après-midi. Une femme du pays a été tuée par l’un d’eux. Mon presbytère a reçu un éclat qui a percé le toit. L’obus est tombé dans la cour d’un voisin, à quelques mètres de ma maison. On vit dans des transes continuelles et on entend la fusillade et le canon en face de nous. A Concevreux il n’y a pas eu de nouveau bombardement depuis quelques temps. La lutte a l’air de se concentrer dans la vallée de l’Ailette, en avant de Laon d’après le bruit que font les canons…
Plusieurs habitants de Roucy se disposent à émigrer.
Pour moi, je pense pouvoir rester à mon poste tant que le danger ne sera pas imminent. Je ne puis aller dans mes autres paroisses que pour raison grave et accompagné d’un soldat en armes.
Quelle situation tout de même et comme il faut mettre toute sa confiance en Dieu et en la protection de la Ste Vierge.
Je la prierai pour vous et avec vous et elle nous obtiendra le bonheur de nous retrouver un jour sains et saufs(…) »
L’abbé Gréhan à Pierre Lucien Lemaire :
1914 Carte postale non datée.
« Mon cher cousin,
« (…) Il y a eu ces jours-ci une attaque à Berry au Bac, tout près d’ici et depuis nous entendons les grosses pièces. Cela nous donne espoir, mais ce sera long, car nous avons affaire à un ennemi qui ne se rendra que par la faim et l’épuisement et ne s’avouera pas vaincu.
Je vous souhaite bon courage toujours et je suis bien avec vous pour tous ceux que nous aimons. Ma santé est bonne et nous sommes un peu tranquilles au point de vue des bombardements qui n’ont pas été renouvelés depuis 6 semaines (…) »
L’abbé Gréhan à Pierre Lucien Lemaire :
« Roucy, le 30 décembre1914
Cher Cousin,
J’ai été très heureux de recevoir de vos nouvelles et je voudrais bien que vous puissiez en avoir de St Paul. Helas ! l’ennemi occupe toujours notre pays et on ne peut que prier Dieu d’abréger cette longue épreuve. Espérons du moins que nous retrouverons sains et saufs tous ces parents qui eux aussi se demandent ce que nous sommes devenus, car ils ne reçoivent aucun journal ni aucune lettre, et les Allemands leur font croire bien sûr des mensonges et les trompent sur les résultats de la guerre. C’est là ce qui doit affaiblir leur courage et les démobiliser.
Je crains bien que le bon Mr Le Curé de St Paul n’ait été fait prisonnier comme beaucoup d’autres de ses confrères et emmené en Allemagne. Quels barbares que ces Allemands et qu’ils méritent bien d’être détruits ! »
« (…) Nous avons toujours de la Troupe ; aussi, l’église est remplie le dimanche et nous avons de beaux Offices. Je suis fort occupé pour répondre aux soldats qui réclament les services religieux. Ils sont bien confiants et pleins de courage.
Depuis le 14 dbre, nous n’avons pas eu de nouvel obus. Espérons que c’est fini et que bientôt, notre pays n’aura plus l’ennemi si près devant lui.
Nous allons passer un triste jour de l’an, mais du moins, nous pouvons bien espérer que l’année 1915 nous donnera la victoire et la délivrance (…) »
L’abbé Gréhan à Pierre Lucien Lemaire :
« Roucy 11 mars 1915
Cher Cousin,
Je commençais à m’inquiéter de ne pas avoir de vos nouvelles : aussi j’ai été très heureux de lire votre lettre du 5 qui m’est arrivée aujourd’hui jeudi 11 et j’y réponds de suite dans l’espoir que vous serez content de savoir ce que je deviens. Je suis comme vous en attendant la libération de notre territoire et de notre pays de St Paul dont on ne peut rien savoir. D’après certaines nouvelles d’autres pays envahis on peut croire que les choses se passent bien à part la rareté des vivres et l’absence de nouvelles ainsi que l’incertain du résultat de tous les efforts que l’on fait. Dans notre région nous jouissons d’un certain calme n’étant pas bombardés depuis le 15 xbre mais le canon ne cesse de se faire entendre jour et nuit et les Allemands sont toujours aussi près de nous qu’il y a 6 mois. Leurs obus pouvant toujours nous atteindre et on a toujours peur de les recevoir. Les soldats vont et viennent : dix jours de tranchées puis 5 jours de repos. On finit par s’y habituer. En ce moment nous avons des soldats du Nord et du Pas de Calais qui aiment l’église et y viennent volontiers. Je loge deux sergents prêtres et un instituteur. La semaine dernière j’avais un commandant, un lieutenant et 3 sergents, sans préjudice des trois personnes de Pontavert qui sont toujours avec moi et vivent à la maison.
J’ai eu un peu de grippe il y a 3 semaines, car notre église étant découverte à un endroit et certains carreaux étant brisés par les éclats d’obus, il y fait très froid, surtout le matin où j’y dois rester quelquefois deux heures (…)
A.Grehan
Je vais écrire à nos chers prisonniers par l’intermédiaire d’un avocat de Genève et j’espère que mes lettres arriveront plus facilement. »
L’abbé Gréhan à Pierre Lucien Lemaire :
« Roucy, 16 avril 1915
Mon cher Cousin,
J’attendais toujours pour t’écrire que la situation soit éclaircie, mais c’est à peu près comme au début, malgré la canonnade fréquente et violente que nous entendons chaque jour. Il faut croire que nos ennemis tiennent à rester maîtres du pays qu’ils ont envahi. Nous du moins, nous sommes à l’abri de leurs violences et nous avons une certaine tranquillité, mais on ne peut s’empêcher de penser à tous nos parents qui sont obligés de vivre avec ces barbares. Encore un peu de patience et nous verrons la fin de nos peines, car le bon Dieu nous viendra sûrement en aide »
« (…) Nous venons de changer de contingent de troupes. Nos soldats du Nord nous ont quittés et sont remplacés par les troupes de Normandie. Il y a certainement moins à faire avec eux au point de vue religieux.
J’ai eu beaucoup de satisfaction de ceux qui viennent de partir et plusieurs continuent à m’écrire. On appelle en ce moment la classe 1889, celle dont je fais partie comme étant du service auxilliaire. »
« (…) J’ignore si je devrai encore partir d’ici le 20 avril, en tout cas, je n’ai pas d’ordre de route. »
L’abbé Gréhan à Pierre Lucien Lemaire :
« Roucy, le 3 mai 1915 »
« (…) Nous avons eu aussi, le 23 avril et le lendemain quelques bombes sur notre village. Une quinzaine de cadets ont été blessés dont trois assez gravement. L’un des trois est mort presque aussitôt et je l’ai inhumé le lendemain. On a reçu 6 obus, la première fois et 12 la seconde, on se demande si la série va recommencer. Il y a quelques jours, on a encore entendu siffler 6 obus qui ont passé au- dessus du village et ont été s’abattre sur la montagne. Nous avons affaire à de terribles ennemis (...) »
L’abbé Gréhan à Pierre Lucien Lemaire :
« Roucy 27 mai 1915 »
« (…) Quant à moi je vais assez bien, nous recevons en ce moment depuis samedi des bombes d’aéroplane qui n’ont pas fait de victime heureusement. L’autre soir je n’ai pas pu continuer le salut du mois de Marie et hier, pendant le salut il y a encore eu du fracas. Quand donc pourra-t-on respirer librement ? (...) »
L’abbé Gréhan à Pierre Lucien Lemaire :
« Roucy, le 25 juin 1915 »
« …Pour l’instant, le pays est tranquille. Les obus ne viennent pas sur nous et on ne voit plus d’aéro.
C’est dans le Nord que se porte toute l’offensive. Voici Dunkerque encore bombardée, que devient notre cousin Rondel au milieu de ce fracas d’obus ! Je vais lui écrire pour savoir ce qu’il en est. Je continue à prier pour vous et pour nos parents : nous avons chaque soir le salut pour les dévots et le matin, il y a toujours 3 à 4 messes à laquelle on communie encore assez. Je distribue beaucoup de médailles, de chapelets, de livres de prières, et j’ai à répondre à un grand nombre de lettres de soldats qui m’écrivent : j’en ai déjà vu depuis le mois de septembre et il y en a qui sont disparus, malheureusement. Que le Bon Dieu veuille nous ramener la paix et nous faire retrouver tous les nôtres ! (…) »
L’abbé Gréhan à Pierre Lucien Lemaire :
« Roucy 19 juillet 1915 »
« … Par ici, il n’y a pas beaucoup d’activité. Quelques obus sont tombés sur le côté du pays vendredi soir, mais n’ont fait aucun dégât, car trois n’ont pas éclaté : je ne suis pas descendu à la cave et j’ai pu dire le salut comme chaque soir pour les soldats. Néanmoins on continue à prendre des précautions et on circule aussi peu que possible. »
« (…) Ma santé est bonne pour le moment et je souhaite que la vôtre puisse se maintenir jusqu’à la fin de la guerre. Espérons qu’il n’y aura pas de campagne d’hiver, bien qu’on fasse les préparatifs nécessaires pour pouvoir l’affronter (...) »
L’abbé Gréhan à Pierre Lucien Lemaire :
« Roucy, le 10 Août 1915
Mon bien cher Cousin,
Comme c’est aujourd’hui la St Laurent, j’ai pensé vous écrire pour vous dire que ce matin, j’ai dit la messe pour toute la famille, pour les vivants et les morts, et que je me suis transporté par la pensée vers notre chère église de St Paul, où sans doute, hélas, il n’y aura eu cette année aucune solennité. Que cela a dû paraître triste aux pauvres habitants, alors que chaque année, la St Laurent était si bien fêtée ! Comme on sera heureux, l’an prochain de se retrouver, espérons-le, pour célébrer la Paix retrouvée et la délivrance de nos pays !
Pour le moment, on se prépare et on se fortifie contre toute attaque possible de la part de nos ennemis. Leur succès relatif en Russie va les rendre encore plus fiers d’eux-mêmes, mais peut-être aussi, que c’est là que le Bon dieu les attend pour les humilier et leur infliger une monstrueuse défaite. Espérons-le de la bonté de la Ste Vierge que l’on prie en ce moment dans toute la France à l’occasion de la fête prochaine du 15 Août.
Ma santé est bonne toujours, et j’ai fort à faire avec le personnel qui loge ici : avec un peu de bonne volonté et de patience, on en vient à bout et on a le plaisir d’avoir obligé quelqu’un.
Aussi, j’ai toujours beaucoup de lettres de soldats qui me remercient et me gardent un bon souvenir dans leur cœur. »
« (…) Nous avons deux Religieuses qui s’en vont à Paris vendredi avec une vingtaine d’enfants ; elles m’ont promis d’aller voir Marcelle pour lui donner de nos nouvelles.
J’ai l’intention de leur confier un sac de linge de ma cousine et les plus beaux habits, afin de les sauver, en cas d’évacuation forcée de Roucy si la campagne d’hiver avait lieu (…) »
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L’abbé Gréhan à Pierre Lucien Lemaire :
« Roucy le 21 sept. 1915
Cher Cousin
Je viens d’avoir aujourd’hui la visite d’un lieutenant Thuillier de St Paul qui est cantonné au bas de Roucy : il m’a chargé de vous souhaiter le bonjour ; il n’a pas de nouvelles non plus de St Paul au moins directement, mais par les Duchemin qui sont prisonniers, il sait que ses parents vont bien.
Je n’ai pas de nouvelles autres à vous dire que celles d’habitude. Ma santé se maintient et je suis toujours un peu occupé par le séjour des soldats dans le pays ; il en est qui sont des habitués de l’église et fréquentent les sacrements et ils sont heureux de trouver un prêtre pour les accueillir en l’absence des aumôniers… »
« (…) Nous sommes en attendant ( ?) que la guerre se termine et nous avons confiance dans le succès final.
Encore un peu de patience et de courage et nous aurons certainement le dessus (…) »
Isidore Jules Lefèvre, mobilisé, et dont la famille est en zone occupée à Saint-Paul-aux-Bois, à son cousin l’abbé Gréhan :
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« Le 17 octobre 1915
Mon Cher Cousin
J’ai reçu votre lettre hier qui m’a fait grand plaisir. Je suis toujours en bonne santé malgré les fatigues et les privations auxquelles nous sommes toujours soumis, tout ce qu’il y a de plus dur pour moi, c’est que je m’ennuie beaucoup de ne jamais avoir aucune nouvelle de ma famille, voici maintenant une année complète d’écoulée, et pas aucun moyen de savoir ce que sont devenus parents femme et enfants. Espérons malgré tout que nous aurons le bonheur de les revoir tous un jour, mais je crois que ce jour est encore loin, car la guerre n’est pas encore finie, nous sommes à peu près sûrs maintenant que nous passerons l’hiver en campagne, les préparatifs que l’on fait partout attestent bien que nous n’allons pas céder à nos ennemis au contraire, et je vous assure mon Cher Cousin que nous sommes décidés à de nouvelles fatigues et privations, puisque l’on est en train, il vaut mieux continuer quelques mois de plus cette guerre et anéantir nos terribles ennemis à seule fin qu’ils ne se relèvent jamais et que le France puisse jouir d’une paix durable, et que nos enfants puissent vivre heureux et tranquilles (…) »
L’abbé Gréhan à Pierre Lucien Lemaire :
« Roucy, le 7 novembre 1915
Bien cher Cousin,
Je suis bien contrarié de vous savoir souffrant, et j’aurais voulu vous écrire plus tôt pour pouvoir vous envoyer de quoi vous procurer une petite douceur.
J’ai été fort occupé par le soin de la maison, car je suis seul avec Mr le curé de Pontavert, et il faut mettre la main un peu à tout, d’autant plus que je loge deux Capucines et qu’il y a beaucoup d’allées et venues dans la maison. Enfin, je suis bien portant et je puis en venir à bout jusqu’à présent.
Vous avez su que bien des gens d’ici étaient partis ; ils commencent à revenir petit à petit, puisque le danger semble un peu disparu. Nous entendons toujours un peu de canonnade et nous voyons des soldats aller et venir : c’est bien long et il semble que cela ne finira pas.
Puissent nos pauvres parents de St Paul n’être pas trop dans la misère, mais quelle peine pour eux d’être sans nouvelle comme aussi pour nous. »
« (…) Nous ne sommes plus bombardés depuis trois semaines, si cela pouvait être fini pour tout à fait (…) »
Georgina Leclere Lecomte (née à Saint-Paul-aux-Bois) à Pierre Lucien Lemaire.
D’Aubervilliers où elle est couturière :
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« Samedi 28 Novembre 1915
Cher Cousin »
« (…) Avila ne nous a pas répondu ainsi qu’à maman, nous voulions qu’il vienne près de nous, il nous avait presque laissé comprendre que si les Allemands passaient l’Aisne il serait obligé de partir, mais cela doit être difficile maintenant car on se tape dur dans sa région, peut-être ne peut-il s’embarquer mais ce qui nous étonne c’est son silence. »
« (…) Voilà l’adresse de Me Avila Grehan ; cet aumônier lui fait remettre de suite car à Roucy la poste est fermée, aucune lettre ne parvient.
Mr l’abbé Choquel
Aumônier
1er corps 2e Division »
L’abbé Gréhan à Pierre Lucien Lemaire :
« Roucy 6 dbre 1915 »
« (…) J’ai bien reçu votre lettre d’Aubervilliers et j’ai bien pensé à vous toute la semaine. Votre lettre dernière m’est arrivée hier dimanche à mon retour de Bouffignereux où j’avais été dire une seconde messe après avoir dit la première à Concevreux : vous voyez que je ne manque pas de besogne : il y avait des deux côtés des soldats qui ont été heureux d’avoir la messe : aussi j’y retournerai encore dimanche malgré que ce soit fatiguant : cela me fait 9 kilomètres en tout avant de manger. Il y avait des obus lancés contre un aéroplane pendant que je mangeais et nos 75 faisaient un bruit sans pareil ; je ne savais pas trop si j’allais continuer. Enfin tout s’est bien passé. Nous avons eu quelques obus vendredi mais ils ont été dans les champs (…) »
D’Isidore Jules Lefèvre à son cousin l’abbé Gréhan :
« Le 27 Décembre 1915
Mon cher Cousin
Voici qu’arrive le jour de l’an, j’en profite pour vous adresser mes meilleurs vœux et souhaits de bonne et surtout, espérons-le de meilleure année.
Je suis toujours en bonne santé j’espère qu’il en est de même pour vous.
Je n’ai pas grand chose de nouveau à vous apprendre, la situation est toujours à peu près la même, il n’y aura certainement pas de graves évènements avant le printemps prochain mais en attendant l’hiver est bien long et bien triste.
J’ai vu sur le journal l’Aisne qu’il y avait encore beaucoup d’habitants dans les pays envahis, ainsi à St Paul il y en aurait encore 502 qui y seraient restés, maintenant il y en a près de 50 qui sont comme moi mobilisés et je crois 37 qui sont prisonniers en Allemagne, il n’y en manquerait donc pas beaucoup.
Il paraît que la population est bien ravitaillée par le comité Hispano Americain, elle ne manquerait de rien et elle ne serait pas trop malheureuse espérons que ces quelques renseignements sont vrais, c’est une grande consolation que de savoir les siens en sécurité malgré qu’ils ne soient pas heureux et qu’ils souffrent beaucoup de toutes sortes de privations et de notre absence (…) »
De Georgina Leclere à Pierre Lucien Lemaire :
« 6 janvier 1916 »
« (…) Reçu à l’instant une lettre du cousin Avila dans laquelle il nous envoie sa photographie, il est bien changé, bien vieilli et est toujours à Roucy… »
L’abbé Gréhan à Pierre Lucien Lemaire :
« Roucy, 23 février 1916
Cher Cousin,
Je pense que vous êtes toujours en bonne santé et au même endroit. Pour moi, je vais bien, malgré le mauvais temps que nous avons eu ces jours derniers et le bombardement que nous avons subi dimanche, vers 5h du soir. Une vingtaine d’obus sont tombés sur le milieu du pays et deux bombes d’aéroplane.
L’église a reçu deux obus, dont l’un a découvert une bonne partie du toit, près de la sacristie, et l’autre a fait tomber quelques pierres du mur à l’endroit où deux autres obus avaient déjà frappé.
Les autres sont tombés sur des maisons et n’ont fait, heureusement aucune victime : il n’y a même pas eu de blessé. C’est une chance aussi que ce soit arrivé en dehors des Offices habituels du Dimanche. Voilà encore une alerte de passée: si ce pouvait être la dernière, mais on ne l’espère pas. »
« (…) Nous avons en ce moment de la neige et il fait un peu plus froid. Heureusement que le préfet nous a donné du charbon : nous en avons eu 200 Kg chacun et avec la part de Mr le Curé de Pontavert qui a eu le double, cela fait 600Kg, au presbytère.
La viande est toujours introuvable et nous faisons le Carême continuel : le vin est fort cher aussi, mais on en trouve tout de même. Sur mes quatre poules, trois pondent actuellement.
Je loge un nouvel aumônier car nous avons changé de Division : c’est le recrutement de l’Yonne et des environs de Paris. Il ne vaut pas le premier corps que nous avions précédemment (…) »
L’abbé Gréhan à Pierre Lucien Lemaire :
« Roucy le 29 mars 1916
Mon cher cousin
Je n’ai rien de bien nouveau à vous apprendre, en ce moment, la situation n’a pas empiré, mais ne s’est pas améliorée non plus, et nous vivons dans l’incertitude sur ce qui peut arriver.
Le canon gronde toujours bien fort et tout près. Nous n’avons pas d’obus et nous n’en sommes pas fâchés, car c’est ennuyeux de descendre à la cave, surtout quand elle est pleine d’eau, comme la mienne. »
« Ci-jointe une photo de moi dans mon jardin, prise par un lieutenant que j’ai logé… »
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L’abbé Gréhan à Pierre Lucien Lemaire :
« Roucy le 27 Avril 1916 »
« (…) Jamais rien de nos pauvres parents de St Paul.
Cependant je viens de voir sur le journal qu’on pourra correspondre avec eux : je vous envoie la note qui a paru à ce sujet. Espérons que le bon Dieu les aidera à supporter leurs peines comme il le fait pour nous.
Je vous envoie un billet de 5f pour vous aider à mieux passer cette fête de Pâques qu’on aurait été heureux de célébrer dans son pays.
Ici nous avons eu tout de même une messe en musique chantée par la chorale d’un régiment.
L’église était comble et la quête a produit 66f, qui seront bien utiles pour les réparations
Nous avons eu quelques obus la veille des Rameaux. L’un d’eux est tombé dans le cimetière sur une fosse à quelques mètres de la tombe de mes parents.
En ce moment on bombarde le secteur de la Ville aux Bois et on ne dort pas beaucoup à cause du bruit que fait le canon. Il y a eu des prisonniers allemands qui sont passés ici hier (…) »
L’abbé Gréhan à Pierre Lucien Lemaire :
« Roucy, le 9 mai 1916 »
« (…) Je suis content que vous ayez pu remplir vos devoirs pour Pâques. Ici c’est très facile, car nous sommes trois prêtres, quelquefois quatre, et le dimanche il y a plusieurs messes. En semaine, je suis à l’église dès 5h1/2 et il y a toujours quelques soldats qui viennent, c’est vraiment intéressant. Chaque soir, nous avons le Salut et la prière et en ce moment, c’est le mois de Marie. L’église est ornée comme si l’on était en temps de paix : Les soldats apportent des bougies et nous avons eu de belles cérémonies pour la semaine de Pâques. C’est une consolation dans nos misères de pouvoir ainsi nous élever jusqu’à Dieu et lui demander de soutenir le courage de ceux qui peinent et qui luttent pour la défense du pays »
« (…) Je ne vous dis rien de ma santé qui est comme à l’ordinaire, ni de notre situation qui reste à peu près la même. On a cependant fait partir tous les enfants de moins de 14 ans. »
L’abbé Gréhan à Pierre Lucien Lemaire :
« Roucy, le 21 juin 1916
Mon cher Cousin,
Je suis heureux de vous savoir fixé sur votre situation qui sera moins pénible que celle des crapouilloteurs : vous avez eu tout de même de la chance de n’être pas de leur nombre et j’en remercie bien le bon Dieu.
Pour moi, je vais bien, comme d’ordinaire ; nous venons de changer encore une fois de Division et je n’ai plus d’aumônier à loger. Les soldats que nous avons sont de nos régions et paraissent mieux que ceux qui viennent de partir »
« (…) On pense que les évènements vont s’accélérer, mais il faut savoir attendre (…) »
L’abbé Gréhan à Pierre Lucien Lemaire :
« Roucy le 16 juillet 1916 »
« (…) Je dois vous dire que nous avons été bombardés le 13 juillet dans le quartier de l’église. Mon bâtiment a reçu un obus dont la tête est venue frapper par ricochet le mur de la maison et que j’ai retrouvé dans la cour. Tous mes carreaux ont été brisés : fort heureusement le médecin qui loge au presbytère m’a fait poser de suite de la toile pour boucher les trous.
Un autre obus est tombé sur le chœur de l’église ; la voûte en pierre a résisté les vitraux ont été abîmés.
D’autres obus sont tombés près de l’église et n’ont par bonheur blessé personne. Nous en avons été quittes pour la peur. C’étaient des 105. On prétend qu’il est déjà tombé sur le pays et autour plus de 500 obus depuis le début de la guerre, et ce n’est pas fini.
Je continue à être assez bien portant malgré tout.
Je commence à aller le dimanche dire la messe à Bouffignereux . Ce n’est pas très sûr non plus, car un obus est tombé vers le cimetière et il en vient de temps en temps sur le pays.
Aussi il n’y a plus guère qu’une vingtaine d’habitants (…) »
L’abbé Gréhan à Pierre Lucien Lemaire :
« Roucy 23 Août 1916
Mon cher Cousin
Je ne sais si j’ai répondu à votre dernière lettre du 12. Dans la crainte de ne l’avoir pas fait, je vous écris aujourd’hui pour vous dire que je suis toujours en bonne santé et que le calme règne un peu autour de nous.
On répare les brèches faites à la toiture dans l’église et j’en profiterai pour faire arranger mon bûcher. On refait aussi nos routes et on organise le cantonnement. Nous ne demandons qu’une chose, c’est de pouvoir rester jusqu’au bout dans nos maisons (…) »
L’abbé Gréhan à Pierre Lucien Lemaire :
« Roucy 7 octobre 1916
Je vous adresse mes meilleurs souhaits pour que vous voyiez bientôt la fin de cette horrible guerre et pour que vous puissiez savoir que vos enfants et Pierrette sont délivrés des Allemands. Quelle triste chose que de penser à cela et de ne pouvoir rien pour leur venir en aide, ou avoir, au moins de leurs nouvelles. Georgina vous aura dit, sans doute qu’Emile Demonceaux était prisonnier en Allemagne et qu’il lui avait écrit pour lui demander de l’argent. Il paraît qu’à Chauny, il y a beaucoup de prisonniers civils qui ont été emmenés par ces barbares. On ne leur rendra jamais tout le mal qu’ils auront fait et ils osent se prétendre les plus civilisés du monde entier.
Espérons que le Bon dieu ne nous abandonnera pas bien que on ne revienne guère à lui du moins tous ceux qui sont à la tête. Je le prie pour vous et toute notre famille et je vous serre cordialement la main en vous souhaitant bon courage.
A.Grehan. »
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L’abbé Gréhan à Pierre Lucien Lemaire :
« Roucy, le 9 octobre 1916 »
« (…) Ma santé est toujours satisfaisante et le calme règne dans notre pays. C’est à peine si on entend de bien loin le canon et on peut dormir la nuit très tranquillement (…)»
Marcelle Macon, cousine de l’abbé Gréhan, à son autre cousin Pierre Lucien Lemaire :
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« Aubervilliers 13 septembre (1917 ?)
Cher Cousin »
« (…) Nous correspondons toujours avec tous nos prisonniers ce n’est pas de même de St Paul car nous n’avons toujours aucune nouvelles. Vivons dans l’espoir que cette guerre va bientôt finir afin de pouvoir revoir toute notre famille saine et sauve.
Nous avons aussi des nouvelles de mon cousin Avila ils ne sont pas trop en sécurité par là paraît-il. Il nous dit que probablement l’hiver il serait obligé de quitter Roucy car la vie est intenable maintenant (…)»
La lettre ci-dessus est la seule qui reste pour la période entre le 9 octobre 1916 et le 25 juin 1918. Madame Maryse Lemaire nous a précisé :
« J'ai longtemps recherché tous ces courriers manquants avant de découvrir dans une lettre de mon arrière-grand-père Charles Lemaire que tout a disparu dans le train Paris-Mâcon lorsqu'il a dû évacuer lors de la 2e offensive Allemande (lettres disparues en même temps que ses maigres biens et que son argent d'ailleurs). »
FIN
de la première partie.