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Situé sur le flanc gauche de l’Aisne, juste en face de Craonne et du Chemin des Dames, Roucy (Aisne) est resté français pendant presque toute la durée de la Première Guerre mondiale.
Le village fut une base de repos mais aussi d’observation et de départ vers le front, et le siège de la 55e D.I.
6 soldats condamnés à mort par le Conseil de guerre de la 55e D.I. y furent exécutés en 1916 et 1917 à la Mutte aux Grillots. Ils sont tous inhumés à la nécropole de Pontavert. Leurs tombes portent la mention « Mort pour la France »
Les quatre fusillés du 22 mai 1916.
D’après Denis ROLLAND (La Grève des tranchées – Les mutineries de 1917.) : « L’incident du 96e R.I., le 30 avril 1916 sur le Chemin des Dames, préfigure le mouvement d’indiscipline de 1917. »
Lucien Baleux, né à Paris, mineur, résidant à Bully-Grenay (Pas-de-Calais) sur les minutes du procès et à Burbure (Pas-de-Calais) sur son registre matricule.
Emile Lhermenier, né à Yvré-l’Evêque (Sarthe), peigneur de chanvre, résidant au Mans (Sarthe)
Félix Milhau, né à Marseillan (Hérault), charretier, résidant à Bessan (Hérault)
Paul Regoudt, né et demeurant à Dunkerque (Nord), journalier
Tous les quatre soldats de 2ème classe au 96e R.I.
Leur "crime".
Leur compagnie qui vient de combattre dans un secteur particulièrement difficile, au Bois des Buttes, est relevée et vient cantonner au Faîté, au-dessus de Roucy. Le lendemain matin, ordre est donné de remonter en ligne. Au moment du rassemblement les hommes manifestent leur mécontentement, quelques-uns refusent de partir. Les officiers interviennent et le départ s’effectue avec une heure de retard.
Le lendemain sept soldats considérés comme les plus coupables sont condamnés par leurs commandants de compagnie à 8 jours de prison. Puis la machine s’emballe. Le colonel Pouget, du 96e R.I., porte la sanction à 15 jours, le général de Laporte, de la 55e D.I., à 25 jours. Enfin, le général Wirbel, du 37e corps, décide de faire "un exemple" et fait convoquer le conseil de guerre.
La sanction.
Quatre soldats sont condamnés à mort le 21 mai 1916. Il est important de noter que les trois autres, qui furent condamnés aux travaux forcés, furent réhabilités dès 1919 pour deux d’entre eux et en 1920 pour le troisième.
Parmi les quatre soldats fusillés, Lucien Baleux avait 19 ans, il était engagé volontaire, depuis le 26 août 1914, et n’avait pas encore l’âge d’être appelé. Félix Milhau avait 22 ans, il avait été blessé deux fois, en décembre 1914 et avril 1915.
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Théophile Boisseau fusillé le 6 juin 1916.
Journalier. Célibataire, né et domicilié à Paris 12e. Soldat de 2e classe au 246e R.I.
Son "crime".
Compte rendu de l’interrogatoire sommaire du soldat Boisseaux Théophile :
« Pour quelle raison n’êtes-vous pas sorti de l’abri de bombardement avec vos camarades au moment de l’attaque ? - J’étais abruti par le bombardement, j’avais peur.
N’avez-vous pas essayé de réagir contre cette peur ? - Je ne pouvais pas.
Déjà en Artois vous n’aviez pas suivi la compagnie lors d’une attaque. Vous m’aviez promis de ne pas recommencer – Silence »
La sanction
Condamné à mort le 5 juin 1916, fusillé le lendemain à l’âge de 31 ans.
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Henri Désiré Valembras fusillé le 13 juin 1917.
Cultivateur, célibataire né à Avernes-sous-Exmes dans l’Orne, domicilié à Survie, arrondissement d’Argentan dans l’Orne, célibataire, soldat au 313e R.I.
Son "crime".
Extraits des Carnets de guerre du sergent Granger 1915-1917. La Grande Guerre vécue et racontée au jour le jour par un paysan de France. Commentés par Roger GIRARD.
« 28 (mai 1917 à Brouillet)… brusquement on nous apprend notre départ pour demain matin… il faut se coucher de bonne heure car demain matin réveil à 3 heures. Manifestations par quelques Poilus agissant sous l’influence du pinard ; nuit mouvementée, tout se calme avec un maigre résultat pour les auteurs de ce désordre ; ils s’en repentiront à bref délai.
C’est au 313e RI, où pourtant les incidents semblent avoir été plus limités et qui a été décoré 3 jours plus tôt après avoir durement combattu pendant près de 3 ans, que survint la peine la plus lourde ; une condamnation à mort exécutée…/… Le soldat Henri Valembras, de la classe 8, cultivateur, célibataire, va servir d’exemple. Il a frappé un capitaine à coups de pieds et de poings… »
La sanction.
Condamné à mort le 8 juin, fusillé le 13 à l’âge de 33 ans.
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En forme de conclusion, un extrait du livre de Michel MAUNY. Emile et Léa. Lettres d’un couple d’instituteurs bourguignons dans la tourmente de la Grande Guerre. Il concerne les quatre premiers soldats fusillés à Roucy.
« Il s’est passé hier une séance bien peu intéressante. 4 soldats du 96e ayant été condamnés à mort, les compagnies du 5e bataillon du 246e ont été chargées de fournir les 4 pelotons d’exécution… Par bonheur, je n’ai pas été désigné pour cette horrible besogne. Les camarades nous ont raconté la scène. C’était lugubre, poignant. Tous étaient hébétés d’avoir participé à cette exécution. Peut-être ces 4 malheureux avaient-ils mérité leur sort (je ne sais pas), mais on devrait bien trouver un autre moyen d’exécuter la loi au siècle où nous sommes. L’un d’eux avait paraît-il 18 ou 19 ans. Il me semble que moi qui ai l’habitude de vivre avec les enfants et les jeunes gens, je serais devenu fou si on m’avait obligé à participer à ce drame. Je te raconterai ces choses que je n’ai portant pas vues mais qui ont hanté mon esprit toute la journée hier. »