Plan de l'Hospice de Roucy paru dans le Moniteur des Architectes en 1873.
La façade principale
La cour intérieure
Fondé en 1861, œuvre de l'architecte Denis-Louis Destors, l'hospice de Roucy s'embrase dans la nuit du 22 au 23 mars 1894.
Cet évènement a été relaté dans deux articles du journal L'Indépendant rémois des 25 et 27 mars 1894, dont vous trouverez, ci-dessous, le texte intégral.
L'Indépendant rémois, 27 mars 1894, p. 2/4 :
La Catastrophe de Roucy.
SIX VICTIMES
Une épouvantable catastrophe vient d'arriver à Roucy, commune de l'arrondissement de Laon.
Roucy est situé à quinze cents mètres de la limite des départements de l'Aisne et de la Marne.
Le village, pour ainsi dire enfoui entre deux contreforts de la chaîne de collines qui sépare la vallée de la Vesle de celle de l'Aisne, regarde cette dernière rivière au travers d'un léger rideau d'arbres.
De loin, sa présence n'est révélée que par les toits aigus et symétriques de l'ancien château féodal des vieilles familles de Charost et d'Imécourt.
Cette belle construction du XVIIe siècle forme une masse imposante et régulière, qui s'élève au-dessus d'un petit monticule, au nord du village.
A quelque cent cinquante mètres au sud-ouest du château, tout à fait à l'extrémité du village, on aperçoit, quand on arrive par la route de Ventelay-Romain, un autre édifice régulier mais d'apparence modeste dont les murs de pierre encore blanche et la simplicité architecturale dénoncent immédiatement l'origine récente et la destination hospitalière.
C'est ce qu'on appelle l'hospice de Roucy.
L'origine de cette maison est touchante.
En 1859, Mme la comtesse d'Imécourt, qui avait une petite fille de neuf ans qu'elle avait mise en pension dans un couvent du Sacré Coeur, recevait la terrible nouvelle de la mort de cette enfant qu'elle chérissait d'autant plus qu'elle avait déjà fait preuve, malgré sa grande jeunesse, des plus grandes qualités intellectuelles et morales.
Quelques temps après avoir rendu les derniers devoirs à son enfant, Mme d'Imécourt apprenait de la bouche même de la soeur qui avait assisté sa fille aux derniers moments, que depuis un certain temps elle faisait des économies sur sa bourse de pensionnaire, dans le but de fonder plus tard une maison où on recueillerait les petites orphelines. En mourant, l'enfant avait exprimé le vif regret de partir sans avoir pu accomplir sa généreuse idée.
Frappée de cette pensée, Mme d'Imécourt résolut d'accomplir le rêve de sa fille.
Peu de temps après, s'élevait un hospice, tout entier construit aux frais de la famille d'Imécourt, et destiné, suivant la volonté de l'enfant charitable qui en avait conçu l'idée, à servir d'asile aux petites orphelines de Roucy et des environs.
Cet hospice, placé sous la direction de cinq sœurs de l'ordre de Saint-Charles Borromée, de Nancy, ne tarda pas à recevoir également des vieillards et des infirmes.
Actuellement il est occupé par les cinq sœurs, par sept vieillards, quatre sous-maîtresses directrices d'ouvroir et par trente-cinq enfants orphelines, assistées ou pensionnaires, et deux vieux jardiniers.
Les bâtiments occupent un carré dont trois côtés sont à un étage, surmontés de combles couverts en tuiles et en partie mansardés. Dans les mansardes de l'aile sud habitent les jardiniers ; les combles du bâtiment reliant les ailes servent de greniers et sont surmontés d'un petit campanile bâti au-dessus d'une petite chapelle qui occupe le milieu du bâtiment ; les mansardes de l'aile nord servent de dortoirs.
Il y avait là, il y a deux jours encore, douze enfants et une surveillante.
A cet étage, dont la superficie totale n'est pas inférieure à quatre cents mètres carrés, le plancher est entièrement remplacé par un carrelage en briques.
Pendant la nuit de jeudi à vendredi, un incendie s'est déclaré, selon toute apparence, au-dessus de la chapelle, et malheureusement, comme on l'a vu par nos dépêches d'hier, il y a eu six victimes.
Jeudi soir, les religieuses de l'établissement étaient allées au salut de l'église paroissiale, en compagnie de leurs jardiniers. Vers neuf heures elles rentraient à l'hospice. Une demi-heure plus tard, tout le monde dormait.
Vers onze heures, la directrice de l'ouvroir, Mlle Elisa Thérêt, qui couche près de la chapelle, était réveillée par un bruit insolite venant de cette partie de la maison. Un instant après, un autre bruit semblable, venant encore du même endroit - on a su plus tard que c'étaient les lustres de la chapelle dont les cordes pendues dans les combles avaient été brûlées et qui avaient produit ce bruit. - Effrayée, Mlle Théret se leva et aperçut la lueur de l'incendie dans la cour intérieure.
Au même moment, la surveillante, couchant dans les combles, près du dortoir des douze enfants, était, elle aussi, réveillée par un crépitement insolite - celui des ardoises éclatant sous l'action du feu.
Elle se leva et ouvrant sa porte vit les enfants qui se sauvaient, affolées, en chemise, sous une voûte de flammes.
Elle se sauva aussi dans le même costume.
Le feu était partout à la fois ; tous les toits brûlaient en même temps, et cependant il ne faisait pas de vent.
On juge de l'effarement de tous les malheureux habitants de l'hospice, qui, émergeant de toutes les chambres, se précipitèrent, vêtus ou non, dans la cour, puis vers la porte de la maison.
A ce moment, un fait épouvantable se passa : cinq enfants du dortoir des combles, qui étaient descendues en chemises, échappèrent à la surveillance de leurs maîtresses et, profitant du trouble général, dirent à leurs petites camarades, qui n'eurent pas le temps de les retenir, que pour ne pas être en chemise devant tout le monde, elles allaient remonter chercher des vêtements.
Elles partirent et s'engouffrèrent dans l'escalier.
On ne devait plus les revoir vivantes. Aujourd'hui leurs petits cadavres, affreusement carbonisés, rabougris, méconnaissables, reposent dans la petite chapelle. Hier après midi, quand nous y entrons, nous voyons, à gauche, quatre petits cercueils de chêne placés côte à côte, comme celles qu'ils contiennent étaient placées au dortoir ; hélas ! en face, sur la dalle, deux autres cadavres non encore ensevelis, entourés de linceuls.
Aujourd'hui dimanche, jour de fête ailleurs, sera un jour de grand deuil à jamais inoubliable pour la commune de Roucy qui fera, à trois heures du soir, des obsèques solennelles à ces pauvres victimes d'un sinistre accident. Les autorités municipales, les fonctionnaires, les sapeurs-pompiers qui, malgré leur zèle, leur dévouement et des prodiges de valeur, n'ont pu les sauver d'une affreuse mort, la population tout entière leur rendront les derniers et suprêmes honneurs.
Voici les noms des victimes :
Marie Bourgeois, 13 ans, née à Guyencourt (Aisne), où habitent ses pauvres parents avec huit enfants qui leur restent de vingt qu'ils ont eus ;
Hortense Lancelet, quinze ans, née à Concevreux (Aisne), dont le père, veuf, habite Douai, où il est maçon ;
Alice Haagen, sept ans, de Paris, où sa mère est domestique ;
Marie Champenois, douze ans, de Virginie, près Sainte-Ménehould, père et mère petits cultivateurs chargés d'une nombreuse famille ;
Anna Ezeblin, neuf ans, de Sainte-Ménehold, où habite sa mère, presque misérable ;
Enfin, Louise Grellet, trente-sept ans, de Cormicy, depuis longtemps pensionnaire de l'hospice. Cette pauvre fille, presque idiote, a été retrouvée entre ses deux matelas où elle s'était sans doute cachée en voyant le feu et où elle est morte asphyxiée.
Derniers détails. - Au moment où les sœurs voulurent sonner leur cloche pour donner l'alarme, elles ne purent le faire ; la corde, brûlée du haut, leur tomba dans les mains.
Les cinq petites filles ont été retrouvées sous les décombres, près de l'escalier, par M. Peudepièce, ancien charpentier, seulement vendredi dans la matinée, le feu ayant duré jusqu'à cinq heures du matin, malgré les efforts et le courage des pompiers de Roucy, de Concevreux, Maizy, Beaurieux, Pontavert, Bouffignereux et Corbeny, accourus avec leurs pompes au premier signal.
La cause de ce sinistre est encore inexpliquée et surtout inexplicable. M. le juge de paix a commencé une enquête, ainsi que la gendarmerie. Souhaitons qu'elle aboutisse.
Les pertes, qui ne sont pas supérieures à 20,000 fr. pour les bâtiments, sont couvertes par une assurance. Malheureusement beaucoup de mobilier, de vêtements appartenant aux surveillants, aux élèves, et constituant leur petit avoir, est brûlé sans avoir été assuré.
Nous ne chercherons pas à peindre l'émoi et la désorganisation qui règnent encore aujourd'hui dans l'hospice, c'est chose impossible. Les malheureuses femmes tremblent encore de peur et de tristesse.
La population entière est aussi sous le coup de la plus pénible émotion.
E. ARLOT.
N.B. : cet article contient plusieurs erreurs concernant l'identité des victimes. Il s'agit en fait de :
- Marie - Elisabeth BOURGEOIS, 12 ans et 5 mois.
- Constance ANCELET, 16 ans.
- Hélène - Jeanne - Alice HAAGEN, 7 ans et 10 mois et demi.
- Marie - Marguerite - Julia CHAMPENOIS, 11 ans et 7 mois.
- Anna EZEBLIN, 9 ans et 11 mois et demi.
- Louise GRELET, 37 ans.
L'Indépendant rémois, 27 mars 1894, p. 2/4
La catastrophe de Roucy.
Dimanche, à 4 heures de l'après-midi, ont eu lieu en grande pompe les obsèques des six malheureuses victimes de la catastrophe de Roucy, à propos de laquelle nous avons donné des détails complets il y a deux jours.
Une foule énorme composée non seulement de tous les habitants de Roucy, mais aussi de personnes venues des villages voisins, assistait à cette triste cérémonie que présidait M. le Maire de Roucy, assisté de son conseil municipal, de la Compagnie des sapeurs-pompiers et de toutes les autorités locales.
Les six petits cercueils portant chacun les initiales de l'une des victimes, avaient été exposés pendant l'après-midi sur le perron de l'hospice. Ils étaient tous couverts de draps blancs et de couronnes qu'avaient envoyé de nombreuses personnes.
La foule, douloureusement émue par ce tableau si triste, attendait silencieusement dans le jardin de l'établissement et dans les rues voisines le départ du cortège.
A quatre heures, les six cercueils furent descendus en bas du perron et remis aux compagnes des petites mortes qui les portèrent à l'église, puis au cimetière, où M. le docteur Lécuyer, de Beaurieux, a prononcé un discours dans lequel il s'est plu a reconnaître que la responsabilité des sœurs de l'Hospice ne pouvait être mise en jeu.
La foule s'est ensuite écoulée lentement et profondément impressionnée.
Nous recevons au sujet de cette catastrophe la lettre suivante de M. le Maire de Roucy. Nos lecteurs en apprécieront certainement toute la portée.
Nous nous mettrons à leur disposition pour recevoir leurs offrandes et les transmettre à qui de droit.
Déjà nous savons que le conseil municipal de Roucy s'est inscrit en tête de la souscription pour une somme de 72 fr.
Le comité de l'Union des Femmes de France de Beaurieux a également souscrit une somme de 100 fr.
Roucy, 25 mars 1894.
Monsieur,
La perte causée par l'incendie de l'hospice de Roucy est encore plus grande que nous le pensions.
Le mobilier n'était pas assuré, et tous les pensionnaires, enfants et vieillards, pauvres pour la plupart, sont sans vêtements et sans ressources.
Ils sont pour le moment recueillis par les habitants qui subviennent à tous les premiers besoins ; en outre la commune a pris les funérailles à sa charge.
Malheureusement nos ressources sont bien restreintes, aussi, avons-nous pensé que vous ne refuserez pas votre concours pour une souscription publique en faveur des victimes de la catastrophe.
Les offrandes pourraient être recueillies par vous ou adressées au maire de la commune.
Le Maire,
Cés. HARANT.
Pour terminer sur une note moins triste, cet article paru dans la Revue de Champagne et de Brie, en 1897 :
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L'Hospice après restauration.