Le 3 septembre 1939, la France et le Royaume-Uni déclarent la guerre à l’Allemagne nazie après l’invasion de la Pologne. Pourtant, les adversaires se font face sans se combattre, ce que Roland Dorgelès nommera « la drôle de guerre », et ce n’est que le 10 mai 1940, que débute l’offensive allemande contre la Belgique, la Hollande et la France.
Dès le 14 mai, devant l’avancée foudroyante des troupes allemandes, les populations de l’Aisne sont invitées à évacuer leur domicile. Le département de destination prévu est la Mayenne, mais chacun agit selon les circonstances et les aléas d’un pénible voyage. Accueillis avec plus ou moins de bienveillance par les populations des autres départements, les réfugiés axonais seront profondément marqués par cet exode. Certains, parfois contraints par leur état de santé, n’ont pu se confronter à un pénible voyage. Ils sont restés chez eux, faisant face à l’arrivée de l’ennemi.
Le 27 mai 1940, L’abbé Gréhan, curé de Roucy, écrit à ses cousins :
« Je vous écris sans savoir si cette carte pourra vous arriver, car peut-être êtes-vous évacués comme nous le sommes depuis le dimanche 19. Après bien des péripéties, et des centaines de kilomètres, en auto et en chemin de fer, 2 nuits et 3 jours, nous avons débarqué à Morlaix dans le Finistère et nous sommes arrivés dans une station balnéaire appelée Carentec où nous occupons un hôtel. Ici nous sommes 20 de Roucy et 67 du Nord et du Pas de Calais. »…
Courrier de l'abbé Gréhan du 27 mai 1940.
Et le 3 juin :
« Qui aurait jamais pensé que nous serions transportés si loin. En somme nous n’avons pas eu à marcher à pied et nous avons trouvé à temps des autos et le chemin de fer pour nous transporter. A Laval, on nous a défendu de descendre parce qu’il n’y avait plus de place : il y a des gens de Roucy qui y sont certainement, dans des villages comme vous y êtes aussi. Je ne crois pas qu’on nous y transportera, nous sommes avec des gens du Nord et d’ailleurs : il y a plusieurs centaines de réfugiés et il en arrive dans les pays voisins encore maintenant. Quelle chose épouvantable ! Quelle misère va en résulter de tout cela et que retrouvera-t-on ?
J’ai eu des nouvelles de quelques personnes de Roucy qui vont à Bordeaux et à Dax… »
Le 5 juin, à 1 contre 3, les troupes françaises résistent.
Le 6 juin de nombreuses contre-attaques sont menées, mais faute d’appui aérien et de munitions les troupes françaises peinent à tenir.
Le 7 juin les troupes et l’aviation allemande reprennent leur offensive généralisée. Les Français qui ont fait sauter les ponts sur l’Aisne leur opposent une forte résistance. Mais l’invasion de l’Aisne est inéluctable.
Pontavert, pont sur l’Aisne détruit
pour retarder l’avancée allemande.
Le 11 juin l’abbé Gréhan écrit :
« Nous avons vu hier dans le journal que l’on se battait dans la région de Pontavert et aujourd’hui quelqu’un disait que les Boches étaient à Fismes.
Ils auraient donc réussi à percer le front comme en 1918. Si on pouvait comme alors les arrêter dans la forêt de Villers Cotterêts. Ils ont sans doute Paris comme objectif… »
Malgré la rapidité de l’invasion allemande, les soldats français ont opposé une forte résistance et subit de lourdes pertes.
La région de Pontavert est défendue par les 44ème et 45ème divisions d’infanterie et la 42ème division, en ligne sur l’Aisne entre Pontavert et Neufchâtel-sur-Aisne.
Parmi les unités combattantes, la 173ème Demi Brigade Alpine (de la 44ème division d’infanterie) venue de Corse s’est particulièrement illustrée.
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Depuis le 8 mai, le 1er bataillon de la 173ème Demi Brigade Alpine est en position sur la rive sud de l’Aisne. Arrivé dans ce secteur dans la nuit du 17 au 18 mai et chargé de défendre les ponts de Concevreux et de Pontavert, le bataillon a stoppé net l’avance de l’ennemi, l’obligeant à repasser la rivière et à rester sur la défensive.
Le 8 juin, le bataillon reste sur place, mais l’adversaire parvient à passer la rivière plus à gauche. Dans la nuit, le bataillon reçoit l’ordre de se replier sur Blanzy-les-Fismes.
La 1ère compagnie s’installe à Roucy. Bientôt l’ennemi est en vue. Bombardements d’aviation et d’artillerie, vagues d’assaut d’infanterie se succèdent sans interruption. Les chasseurs alpins s’accrochent au village écrasé sous les obus et résistent avec une énergie farouche. Leur tir, bien ajusté, brise l’une après l’autre les vagues d’infanterie allemande.
Tombes provisoires allemandes à Roucy.
(photo allemande du 17 juin 1940)
Pendant treize heures, l’ennemi s’acharne à prendre le village, pendant treize heures, il est repoussé. Mais les pertes sont élevées. Les unités qui l’encadrent à droite et à gauche finissent par disparaitre, submergées sous l’avalanche ennemie. Menacée d’être encerclée, la 1ère compagnie exécute un décrochage sous un feu violent d’artillerie et d’armes automatiques. Elle parviendra cependant à rejoindre sur la Vesle le gros du bataillon.
Soldats français inhumés provisoirement à Roucy.
Retranché dans Blanzy-les-Fismes, celui-ci a résisté à un violent bombardement d’artillerie et d’aviation. Il a repoussé des attaques nombreuses et massives d’infanterie. Quand l’ordre de repli lui parvient, il réussit, sous les ordres du capitaine Boué, à exécuter son repli et se retrouve groupé à Jonchery-sur-Vesle pour une nouvelle résistance.
Quand l’armistice regroupera l’unité au camp de la Cortine, le 1er bataillon de la 173ème Demi Brigade Alpine sera réduit à deux officiers, cinq sous-officiers et trente-six hommes. Pendant les combats de mai et juin 1940, la 173ème DBA comptera 272 morts pour la France.
Le 14 juin les troupes allemandes entrent dans Paris.
Le 17 juin le maréchal Pétain exige de « cesser le combat ».
Fin juin 1940 les habitants de Roucy retrouvent leur village. Les maisons ont beaucoup souffert, les habitations ont été pillées, meubles et linge ont été emportés, le bétail a disparu, les instruments de culture sont détruits ou gravement endommagés.
Ce n’est que le 28 août 1944 que Roucy sera libéré par les troupes américaines.
La libération de Roucy, par madame Réjane Fleury,
habitante du village et témoin de l’évènement.
Citation à l’ordre de l’Armée.
La 173ème Demi Brigade Alpine, contrairement à ce que son nom pourrait laisser penser, est venue de Corse.
Le 9 juin 1940 à 7 heures, elle fait face à la Wehrmacht, lors du déclenchement de l’offensive terrestre. Elle tiendra jusqu’au 10 juin, avant de se replier sur ordre, avant de voir beaucoup de ses hommes capturés par l’ennemi.
Ces combats lui vaudront cette citation à l’ordre de l’Armée :
La 173ème Demi-Brigade Alpine sous les ordres du lieutenant-colonel Vinot :
« Chargée de l’organisation de la défense d’une position sur l’Aisne, a travaillé sans repos et sans arrêt sous le feu ennemi du 17 mai au 8 juin 1940, pour préparer la résistance, en même temps qu’elle conservait le contact avec les patrouilles et les reconnaissances hardiment poussées au-delà de la rivière.
Attaquée le 9 juin par des forces très supérieures et puissamment appuyées, a tenu sur place avec une héroïque ténacité, en infligeant à l’ennemi de grosses pertes dans ses points d’appui encerclés et débordés.
Ayant reçu dans la nuit l’ordre de se replier, s’est décrochée et s’est fait jour à travers les lignes adverses, au prix de lourds sacrifices, les 2e et 3e bataillons venant prendre leur place dans la ligne de bataille où ils se sont héroïquement maintenus, le 1er bataillon en se soudant à une autre armée, puis en exécutant une héroïque tentative de percée à la baïonnette. »
Hommage.
Le 9 juin 2020, l’Amicale des anciens du 173e RI, et la Collectivité de Corse devaient, avec les municipalités concernées, inaugurer trois plaques rappelant le souvenir des combats de la 173e Demi Brigade Alpine en 1940 dans les communes de Roucy, Concevreux et Maizy ; puis se recueillir sur les tombes des 190 combattants inhumés dans la Nécropole Nationale de Soupir.
Une nouvelle « guerre », contre l’épidémie de coronavirus, n’a pas permis ces manifestations qui sont reportées à une date ultérieure.
Mais elles auront bien lieu car, en s’inspirant du général de Gaulle en juin 1940 : Nous avons perdu une bataille, mais nous n’avons pas perdu la guerre.
A bientôt.