Ils étaient trois petits enfants
Qui s’en allaient glaner aux champs.
Tant sont allés, tant sont venus
Que sur le soir se sont perdus…
(La légende de Saint Nicolas)
Le monument aux morts de Roucy
« Destinée ou fatalité ?
Ils étaient trois, Jeannine, Marc et Roger, tous trois à la communale de Roucy, et (avaient) fait leur première communion ensemble.
En 1944 ils avaient 20 et 21 ans – Jeannine, infirmière, tuée à Reims, le 30 mai au cours d’un bombardement américain (elle avait été la cavalière de Roger au cours du mariage d’un ami d’enfance commun). Elle repose au cimetière de Jonchery, inscrite au monument aux morts, une rue porte son nom.
La tombe de Janine Neveux. Cimetière de Jonchery-sur-Vesle
Roger, engagé volontaire en octobre 1941 au 8e Régiment d’infanterie alpine – quartier Lepic à Montpellier (au cours d’une revue, il est le plus petit soldat de son régiment, le maréchal Pétain, lui serre la main, et il est de Roucy, à quelques kilomètres de Craonne, pour Pétain quel souvenir).
Démobilisé le 28 novembre 1942 il revient à Laon, il retrouve Marc, tous deux réfractaires au S.T.O., ils travaillent dans une ferme à Corbeny.
Le 24 août (1944), Roger et Marc décident de rejoindre les armées alliées. Ils partent de Roucy, passent à Presles et Boves, chez un oncle, où sont-ils passés, à pied… »
C’est ainsi que débute, racontée par Jacques Onraet, frère de Roger, la courte aventure de nos héros.
Pour comprendre la suite, reportons nous à la Libération de Paris.
Roger Onraet et Marc Lavetti sont partis le 24 août, le 25, Paris est libéré. Mais l’ennemi peut encore reprendre la capitale et la résistance est encore très active.
Un groupe de résistants, le bataillon Hildevert (1), doit réceptionner un parachutage allié. Celui-ci doit avoir lieu près d’Oissery (Seine-et-Marne). Le 26 août, trois compagnies, composées de près de 250 résistants franciliens, se dirigent vers le lieu du rendez-vous ; mais un tel déploiement de véhicules et d’hommes en armes ne passe pas inaperçu. Plusieurs escarmouches ont lieu, les résistants font prisonniers un détachement de soldats allemands.
A Oissery, le commandant Hildevert installe une quarantaine de résistants dans la râperie à betteraves pour soigner les blessés.
La Râperie d'Oissery
Le gros de la troupe s’est ensuite dirigé vers l’étang Rougement. Là, il attend le parachutage, quand soudain surgissent de tous côtés des blindés et des soldats en armes. Des témoins ont dit avoir vu un détachement allemand d’au moins 400 hommes (dont des S.S.), avec des blindés. Il y aurait eu plus de 120 morts et de nombreux prisonniers et disparus. Les prisonniers seront déportés en Allemagne. Beaucoup ne reviendront pas. Les pertes allemandes ne sont pas connues.
L'étang Rougemont
Auparavant, la râperie a été prise d’assaut. Plusieurs résistants ont été tués, une trentaine fait prisonniers.
En début de soirée, un peloton tire sur les résistants capturés le matin à la râperie avant de les arroser d’essence et de les brûler.
Mais quel rapport avec Marc et Roger ? C’est la copie d’une lettre de La Croix Rouge française, remise à la maman de Roger, en septembre 1944, qui nous l’apprend.
«Croix Rouge française
Comité de la Croix Rouge
Meaux (Seine et Marne)
Madame,
Chargée de relever en Seine et Marne les noms des personnes fusillées par les allemands ces temps derniers, j’ai trouvé dans la liste du village de Saint-Mesmes, les noms de deux jeunes gens de l’Aisne.
En raison de l’arrêt du courrier et de la difficulté des transports, je vous demanderai d’avoir l’obligeance d’annoncer aux deux familles respectives, cette pénible nouvelle.
Il s’agit de :
1° ONRAËT Roger Louis, 21 ans, né à Beauvais (Oise) le 9 mars 1923, domicilié à Laon.
2° LAVETTI Marc, 20 ans, né à Roucy (Aisne) le 25 mars 1924, domicilié à Corbeny (Aisne).
Ces deux jeunes gens ont été fusillés par les allemands lors de la Libération, le 27 août, sur la route près de Saint-Mesmes. On les avait aperçu tous les deux seuls, quelques heures auparavant. Aussi le maire de Saint-Mesmes pense-t-il qu’ils n’ont pas été fait prisonniers, mais abattus immédiatement sans raison connue de lui.
On a pu aller rechercher leurs corps que le lendemain, les allemands ayant interdit aux habitants de sortir de chez eux ce jour-là.
Les deux corps ont pu être facilement identifiés grâce à leurs papiers d’identité. Le Curé de Saint-Mesmes, leur a donné l’absoute avant l’inhumation. Malheureusement, le nombre des victimes ayant été assez élevé (11) il a été impossible de trouver des cercueils pour tous et en particulier pour ces deux jeunes gens qui ont été mis à même la terre. Il semble actuellement, difficile de faire des cercueils à Saint-Mesmes et aux environs par suite du manque de courant électrique.
Peut-être des membres des deux familles pourraient-ils venir à Meaux où à Saint-Mesmes pour étudier sur place les mesures que l’on pourrait prendre.
La Mairie de Saint-Mesmes conserve les quelques objets que l’on a trouvé entre les deux corps, mais il est impossible de désigner le propriétaire.
« 1 sac tyrolien, une veste grise en gros lainage, un pull-over kaki, un pull-over Bordeaux sans manches, deux portefeuilles sans argent, une blague à tabac, un jeu de cartes. »
Je ne puis vous dire, Madame, l’émotion qui m’étreint en vous transmettant ces tristes renseignements et vous prie de vouloir bien informer aux deux familles l’expression de ma triste et profonde sympathie.
Le Comité de la Croix Rouge de Meaux, 41 rue Saint Remy, pourra vraisemblablement vous aider…. »
A la suite des évènements survenus à Oissery, les Allemands recherchent des résistants dans les environs, et c’est Jacques Onraët qui raconte la fin de l’aventure de Marc et Roger :
« ils se retrouvent dans le village de Saint-Mesmes, (près de cent kilomètres de leur point de départ), les allemands viennent de fusiller neuf maquisards. Les gens leur demandent ce qu’ils font là, un side-car arrive, les gens rentrent apeurés dans leur maison, ils refusent de les suivrent, les portes se ferment, ils sont seuls dans la rue, le side-car les arrête, les emmène à la ferme où se tient le capitaine allemand. Que c’est-il passé ? Ils sont relâchés, prennent un chemin de terre en direction de Cerilly, une voiture les rattrape, un soldat allemand sur chaque aile. Ils sont abattus à la mitraillette, Roger qui bouge encore est achevé d’une balle dans la tête.
C’était le 27 août 1944, à 17 h…
Je n’apprendrai la mort de mon frère Roger qu’au mois de novembre… (2)
.../…
En octobre 1950, je travaillais comme chauffeur-livreur pour un grainetier de Bobigny. Je suis allé chercher un camion de paille, à la ferme de Monsieur Charpentier, maire de Saint-Mesmes, fournisseur habituel de mon patron. J’y suis retourné plusieurs fois, et c’est ainsi que j’ai su ce qui c’était passé dans ce petit village. Horrible !
Roger et Marc ont été enterrés, sans cercueil, dans le même trou. Ma mère a été les rechercher elle-même…/…
Seule avec mes deux jeunes frères, et ma sœur jeune mariée attendant un bébé, elle est partie avec deux cercueils, avec un ami et sa camionnette, ramener leurs corps, payer une caution pour obtenir le drapeau mortuaire bleu-blanc-rouge, et fait enterrer Marc à Corbeny et Roger à Roucy.
…/…
A Roucy, le 20 août 1994.
Signé : ONRAET Jacques, ancien combattant de l’A.O.F. au bord du Rhin, et du Rhin au Danube, croix de guerre, médaille du combattant – 9e D.I.C. – 1ère Armée française. »
Première page du document manuscrit
de Jacques Onraët
La tombe de Marc Lavetti dans le cimetière de Corbeny
La tombe de Roger Onraët dans le cimetière de Roucy
Pour terminer, découvrons le discours prononcé, sans doute par le maire de la commune, lors de l’inauguration d’une plaque commémorative à Saint-Mesmes.
« Mesdames, Messieurs,
Une année s’est écoulée depuis le jour ou l’ennemi traqué par les forces alliées, aidées par celles de l’intérieur se retirant en arrosant le sol de France du sang d’une jeunesse, qui brave s’était groupée pour lui infliger la plus grande défaite de l’histoire.
Je ne voudrais pas rappeler en détail les heures tragiques que nous avons vécues les 26 et 27 août 1944. L’ennemi battu devenait féroce, aucun civil ne devait quitter le village. Mais après être partis courageusement pour se battre, certains, un peu désemparés erraient dans nos chemins, le boche veillait et guettait sa proie ; hélas, il ne tardait pas à ramener 2 jeunes gens puis le lendemain 5 puis 2 et 2 encore. A peine où pas même interrogés ils repartaient presque aussitôt vers le lieu du sacrifice. La rage au cœur nous ne pouvions qu’assister impuissants à cette hécatombe. Je me fais l’interprète de la population pour exprimer aux familles et aux amis de ceux qui ont été lâchement fusillés dans la commune, nos sentiments de respectueuses condoléances.
La plaque que nous avons fait graver rappellera aux générations futures le sacrifice de jeunes hommes de toutes nationalités unis volontairement et librement sous la bannière tricolore pour repousser l’envahisseur exécré.
A vous anciens combattants de 14/18, à vous combattants de cette guerre, à vous prisonniers qui avez tant souffert, je vous confie la garde de cette plaque, puisse-t-elle rappeler à tous le chemin du devoir pour que toujours : Vive la France. »
(1) En 1940, Winston Churchill avait créé le S.O.E. (Special operation executive) chargé d’accomplir des actes de sabotage pour entraver la machine de guerre allemande. Le bataillon Hildevert appartenait au réseau Armand Spiritualist dépendant de la Section française du S.O.E.
Le bataillon Hildevert n’a pas participé à l’insurrection de Paris. Il était en réserve pour réceptionner un important parachutage de matériels, d’armes et d’hommes qui devait avoir lieu à une quarantaine de kilomètres à l’Est de Paris.
Plus de détails sur le site :
http://liberation-de-paris.gilles-primout.fr/oissery-un-dommage-collateral
(2) Au même moment, Jacques Onraët, le frère de Roger, quitte la rade de Mers-el-Kébir, à bord d’un liberty convoyant le matériel, camions et pièces d’artillerie, du 3° Groupe du RACAOF. et débarque le 1er septembre à 5h00 du matin à Fréjus, où il attend que ses camarades arrivent à leur tour…
Il n'apprendra la mort de son frère qu'au mois de novembre.
Le monument aux morts de Saint-Mesmes
Le monument aux morts de Saint-Mesmes (détail)
Le monument aux morts de Roucy (détail)
Plaque commémorative dans la mairie de Roucy
Plaque commémorative dans l'église de Roucy
Janine (Jeannine) Neveux a son nom gravé sur les monuments aux morts de Jonchery-sur-Vesle et de Roucy, sur les plaques commémoratives dans la mairie et l’église de Roucy et sur le monument aux Infirmières, place Cérès à Reims. Une rue de Jonchery porte son nom.
Le monument aux morts de Jonchery-sur-Vesle
Le monument aux morts de Jonchery-sur-Vesle (détail)
La rue Janine Neveux à Jonchery-sur-Vesle
Janine Neveux, née le 6 octobre 1924, était infirmière au dispensaire de la Croix-Rouge, rue Belin à Reims. Lors d'un bombardement allié qui a fait 52 morts et 70 blessés graves, le 30 mai 1944, elle s'était réfugiée avec d'autres infirmières et brancardiers dans une cave-abri de la place Luton qui fut frappée de plein fouet par une bombe.
Le monument aux Infirmières à Reims
Le monument aux Infirmières (détail)
Marc Lavetti a son nom gravé sur les monuments aux morts de Saint-Mesmes, Roucy et Corbeny, sur les plaques commémoratives dans la mairie et l’église de Roucy. Une rue de Corbeny porte son nom.
Le monument aux morts de Corbeny
Le monument aux morts de Corbeny (détail)
La rue Marc Lavetti à Corbeny
Roger Onraët a son nom gravé sur les monuments aux morts de Saint-Mesmes et Roucy, sur les plaques commémoratives dans la mairie et l’église de Roucy.
La tombe de Roger Onraët dans le cimetière de Roucy (détail)
Les évènements des 26 et 27 août 1944 sont encore très présents dans la région d'Oissery - Saint-Mesmes.
Le village d'Oissery aujourd'hui :
Plaque commémorative à l'emplacement de la Râperie d'Oissery
La Râperie a laissé la place au collège Jean des Barres
Le monument près de l'église d'Oissery
Détail du monument
L'étang de Rougemont (propriété privée)
Le monument commémoratif près de l'étang de Rougement
La Ferme de Condé, près de l'étang de Rougement, à Oissery
Le monument commémoratif près de la Ferme de Condé
Le cimetière d'Oissery.
(Allée Joseph Michon. Brûlé vif le 26 août 1944)
Le monument commémoratif dans le cimetière d'Oissery
N.B. : toutes les illustrations proviennent d'une collection privée.