Cyp ETCHEGOYEN. Mon tour viendra ! L’enfer du poilu.
(I.N.S.A.P. Sans date. 1930 ?)
Cyprien ETCHEGOYEN dit Cyp est né le 16 septembre 1894 à Saint-Palais (64). Il sera inspecteur d’assurances et greffier au tribunal de Saint-Palais. Mais à la déclaration de guerre, en 1914, il s’engage et finira la guerre comme lieutenant avec quatre blessures, la Légion d’honneur et trois citations.
En août 1939, père de cinq enfants, il endosse de nouveau l’uniforme et repart au combat. Blessé en mai 1940, il s’engage dans les Forces Françaises Libres et le Général de Gaulle le nomme chef de bataillon. Il est nommé lieutenant colonel quelques jours avant de « mourir pour la France » à Alger le 24 décembre 1943.
Bibliographie :
- Mon tour viendra. L'Enfer du poilu. I.N.S.A.P.
- Au Foyer du vainqueur - Mignard - 1934
Après l’Introduction de cet ouvrage nous le retrouvons sur le Chemin des Dames, et notamment dans les environs de Roucy (Roussy), au moment où se prépare l’offensive Nivelle du 16 avril 1917.
« INTRODUCTION
…Ces feuilles résument la vie angoissée du front. Bien souvent le poilu souhaita la mort, tant les heures lui étaient lourdes et amères. Puis, la confiance en ses chefs, et en lui-même, la foi dans les destinées de son pays, l’affection de ses frères d’armes en cette famille des tranchées où la chaîne des cœurs résistait à tous les assauts – tout cela lui permit de tenir et de vaincre. Il ne conçut jamais de haine, mais se montra farouche dans la défense et dans l’attaque. Il rendit généreusement hommage à ses ennemis. Il souffrit longtemps. Et s’il n’avait pas eu de défaillances, s’il n’avait jamais eu peur, eût-il mérité d’être un homme ? Souvent sa pensée voguait vers la maison de son enfance, vers la douce région lointaine où les mères pleuraient. Puis il chantait, riait, jouait – comme un enfant. Plusieurs fois blessé, il retournait vers cette terre d’épouvante, et toujours obligé de se murmurer « Mon tour viendra de mourir, puisqu’à nouveau j’aborde la sinistre zone… »
- Paroles fatalistes, immanquable expression d’inquiétude, car ils étaient trop qui tombaient sous le feu. Rien de l’horreur de cette existence n’échappa au douloureux privilège qu’il eut de vivre dans l’infernal voisinage de la mort. Là est toute l’odyssée de ce fantôme qui fréquenta les sommets du martyre.
- Allons, mes amis rescapés, formons le cercle et relisons nos souvenirs ensemble ! Et que l’âme de nos enfants, maintenant ouverte à la lumière, puise dans le bagage de notre jeunesse la féconde leçon de courage et d’amour ! »
Cyp ETCHEGOYEN
Photo extraite de la Généalogie agnès ETCHEGOYEN
Heredis - Planète Généalogie
Page 152 : « Lambeaux d’espérance.
…Les collines de l’Aisne nous reçoivent après six mois d’absence. A pied, par Livry-sur-Vesle, Canal, Vaudremont, Isse, Condé, Jâlons, Athies, Mardeuil, Plivot, Chouly, Epernay, Ramponneau, Damery, La Cave, Port-à-Binson, Largerie, Léry, Romigny, Olizy, Brouillet, Savigny, Jonchery, Les Venteaux, Carrières de Romain.
Le froid nous a poursuivi, implacable, terrible et le pain, qu’il fallait couper à la hache, sautait en copeaux sur la route. Les cheveux gelés formaient, hors du casque, comme des stalactites. Impossible d’arriver à se chauffer dans les cantonnements sans se coller les uns et les autres, les courants d’air nous faisant l’effet d’une aspersion d’eau glacée sur le visage et sur les pieds. Comme nous sommes loin du bon lit de la maison que notre maman bordait le soir après avoir baisé notre front et décrit sur nous le signe de la croix ! A jamais soit maudit le froid qui nous plonge ces jours-ci dans une telle misère !
Il faut donc revoir notre vieille connaissance : la tranchée du chemin des Dames ! 1914 : le bois des Buttes ; 1915 : Heurtebise-Vauclère ; 1916 : Vendresse-Tordoir ; 1917 :…
Nous revenons toujours à nos premières amours. Et c’est vrai. Mais nos amours maintenant ce sont les abris passés en consigne à d’autres poilus ; ce sont ces pans de murs que nous garnissons de dédicaces ; ce sont les tombes fleuries par nos soins ; nos amours ce sont ces carrières profondes qui n’existent qu’ici, carrières où peuvent se tenir des bataillons entiers, mais qui s’effondrent aussi – et servent de sépulture aux malheureux emmurés !
Nos amours, c’est la nuit de relève dans les carrières, quand on enjambe, non sans les heurter parfois, des corps, non sans se faire couvrir de toutes les apostrophes imaginables ; c’est la petite femme qui dit invariablement « je vous aime » à tous les poilus qui l’arrêtent ; c’est l’Aisne, Beaurieux, Maizy, le bois des Buttes et ses champignons, le Moulin Rouge et le Beau-Marais, Craonnelle et Blanc-Sablons ; c’est Glennes, c’est Morval, c’est Longueval, c’est Villers-en-Prayères et son parc et ses chalands et son Chablis et, sur les tables des bistros, les romances jusqu’à satiété… Nos amours !... quelle misère.
C’était tout de même le bon temps, par ce que l’on croyait que la guerre finirait tout de suite et que Noël d’abord… puis Pâques serait fêtés chez soi, dans son petit pays. Rêves insensés que la réalité a étouffés chemin faisant. Les années passent – et la guerre nous tient au collet.
J’ai le rare bonheur de retrouver Larralde, Faisans et plusieurs autres soldats de la territoriale, dans leur cantonnement vers lequel la pluie battante et les ordres contraires ne m’ont pas empêché de marcher pendant quinze kilomètres, sur des routes défoncées. Oui j’ai voulu les revoir avant le grand coup qui s’annonce – et me saturer avec eux des ombres de mon pays et de mon enfance.
… De cet immense filet de boyaux et de tranchées montent mille souvenirs qui me sont chers et chaque point du front est une page de mon carnet, un joyau de mon reliquaire que je veux examiner autant pour haïr la guerre que pour rêver de ma patrie et lui souhaiter la victoire par le sacrifice, déjà considérable, de ses héros.
Quand je chemine vers Roussy, Ventelay, la ferme du Faité, Concevreux, en corvée, je ne peux m’empêcher d’observer, du haut des collines, le champ de bataille où nos armées triomphantes s’arrêtèrent en 1914, après la Marne. Je passerais des heures à rechercher de loin dans le bois des Buttes l’endroit où Boerner fut assommé, où je défendis avec quelques soldats, aujourd’hui dispersés au vent des batailles, le parc du château que convoitaient les Allemands. A peine est-il possible de suivre la fameuse chevauchée nocturne autour du bois pour déboucher ensuite à l’entrée nord du village qui n’existe plus…
Si je vire vers l’ouest je revois le Decauville, l’emplacement des batteries, mais les arbres sont rapetissés. Il y a du nouveau : le camp Boucheron, le camp Lerrède, le camp Kitchener ; la route de Beaurieux au Moulin Rouge est carrossable et, là demeure, à mi chemin, toujours fréquenté, le croisement, où, blessé, j’attendis, un soir, ma compagnie pour m’y glisser, rejoindre mes amis et, fiévreux, les suivre. Oui, il y a du nouveau : le communiqué est affiché à un arbre. Et il relate aujourd’hui une grosse attaque allemande à la Butte du Mesnil et Maisons de Champagne. Les Allemands ont atteint le ravin du Fer de Lance, mais des contr’attaques menées sous une tempête de neige ont ramené l’ennemi non loin de sa position de départ. Son demi succès provient de l’explosion de mines. Et cela me rappelle les coups sourds que nous entendions du fond de notre abri :
- C’était vrai, voyez-vous, ai-je dit tout de suite au lieutenant qui n’avait pas voulu me croire.
La lutte fut sans doute atroce, là-bas. »