Miroir-Sprint du 28 juillet 1954
Cette année le Tour de France rendra hommage aux Poilus, à l’occasion du centenaire de la Première Guerre mondiale, notamment en empruntant le Chemin des Dames lors de l’étape Arras-Reims. Indirectement il rendra également hommage à Yves GIBEAU. En effet, le 10 juillet 2014, les coureurs relierons Craonne où Yves GIBEAU est enterré dans le vieux cimetière, à Roucy où il vécut ses dernières années et décéda, il y a 20 ans, le 14 octobre 1994.
Yves GIBEAU, écrivain, qui arpenta inlassablement le Chemin des Dames, était passionné de sport et notamment de cyclisme, avec une prédilection pour le Tour de France.
« Moi, le Tour de France, ça me passionnait. Je guettais le marchand de journaux tous les matins pour les résultats de l’étape dans l’Eclaireur de l’Est. Et après quand je roulais dans le village sur la vieille bicyclette, tête baissée, je m’encourageais à haute voix en me prenant pour Nicolas Frantz, Botecchia ou Antonin Magne… » (Mourir idiot. Editions Calmann-Lévy, 1988)
Il y a 60 ans, en 1954, il suivit les trois étapes alpines du Tour de France, dans la caravane, et publia à la suite trois articles dans le journal L’Equipe sous le titre « Un romancier sur le Tour ». Son ami Antoine BLONDIN l'avait précédé dans quatre étapes.
L'Equipe du 27 juillet 1954
Extrait de l’article publié le 27 juillet 1954. « Aux innocents les mains pleines »
« Grenoble. - J’attendais cette journée faste depuis des semaines. Riche de mon macaron en sautoir, d’une casquette ad hoc et des illusions que je porte en toutes circonstances, j’allais enfin suivre le Tour, mêler ma naïveté et mon enthousiasme à la désinvolture des cieux du métier. La nuit précédente, j’avais mal dormi, hanté par cette épreuve pourtant acceptée de bon cœur, craintif devant elle, comme un lycéen à la veille d’une colle. D’un naturel lymphatique, sourd à toute sonnerie matinale, je fus exceptionnellement sur pied au chant du téléphone et prêt en un clin d’œil à sprinter vers la place Bellecour pour ne pas manquer la moindre des formalités du départ. Mes mentors, mes chaperons me freinèrent gentiment.»
L'Equipe du 28 juillet 1954
Extrait de l’article publié le 28 juillet 1954 (sur l’ascension du col de l’Izoard). « Travaux sur un chemin de croix »
« Le ruissellement des eaux vives dans les goulets verdoyants, la longue plainte des pneus dans les descentes « aménagées », tout cela cessait d’un coup. C’était comme une ruée de fauves cherchant le salut sous une menace venue de terre un instant hospitalière, dans un vacarme de trompes, de sirènes, de hurlements, de chocs de pierres partant sous les roues des voitures comme des projectiles. La mêlée, le grand combat du « 3e » s’auréolait d’une poussière épaisse arrachée au chemin crevassé, rocailleux, quasi incandescent. Secoués de peur ou de colère, montures et cavaliers dansaient au rythme des crevasses une sarabande que rien ne semblait devoir apaiser, sinon le dernier rush dans les ravins pelés. »
L'Equipe du 29 juillet 1954
Extrait de l’article publié le 29 juillet 1954. « Propos sur la chute d’un ange »
« Aix-les-Bains. – Trois jours, c’est peu pour épuiser toutes les curiosités, toutes les merveilles, tous les mystères que porte en soi le Tour de France. C’en est fini de mon aventure, une aventure dont je rêvais depuis l’enfance, et j’ai l’impression d’être passé à côté de bien des choses sans ouvrir assez les yeux, sans me rassasier de couleurs et de lumière, sans avoir, surtout, communié plus fortement avec les coureurs, pour qui j’ai la plus grande estime. »
Les trois articles originaux parus dans L'Equipe
Ces articles ont été repris dans leur intégralité dans le N° 23 (automne 2004) de la revue Graines d’Histoire. La mémoire de l’Aisne dans un Hommage à Yves Gibeau (1916-1994).
Le 10 juillet, lorsque les coureurs gravirons la côte de Roucy, nous aurons une pensée pour Yves GIBEAU et pour les fantômes du Chemin des Dames.
Miroir-Sprint du 28 juillet 1954
N.B. : les documents sont extraits d'une collection privée.